Lundi matin, 7h15 ; j’arrive dans les locaux du centre de PMA de la clinique, j’allume les lumières du couloir, deux patientes attendent déjà. Un sourire masqué mais qui se lit dans leurs yeux me souhaite bonjour. 7h20, j’appuie sur le bouton ON de mon appareil d’échographie, une autre journée commence. Les mêmes gestes, le rituel du gel hydroalcoolique, les gants, la sonde d’échographie, la protection estampillée CE, le gel d’écho, afficher le nom de la patiente sur l’écran, la petite phrase qui me permet de savoir que la dame allongée sur la table d’examen se sent prête pour l’examen. L’image en noir et blanc, qui bouge ou qui se fige, l’utérus et son endomètre, fin ou épais, avec son bel aspect en grain de café, les ovaires faciles d’accès ou cachés, les follicules, petits, gros , rares ou nombreux , je mesure , je compte , je remesure , à droite et à gauche , ça pousse bien , beaucoup , pas assez , trop vite , pas assez vite.
Je fige l’image, j’imprime, je vérifie mes clichés et une petite voix me ramène soudain à une autre réalité « et vous Docteur, vous n’en avez pas marre de compter des follicules toute la journée ? » Je croise ses yeux rieurs et curieux de ma réponse.
Combien en ai-je mesuré des follicules en presque 20 ans ? Des millions c’est certain. Ils ont tous une histoire, dans leur irrévocable éphemérité. Bulle d’un moment, bulle de vie, bulle d’espoir. Précieux berceau de l’ovocyte, on le nourrit, on le couve, on lui parle, on le trouve tonique et prometteur et puis on le crève d’un coup d’aiguille pour lui voler sa perle qui sera graine d’amour.
Les follicules ou le despotisme de la réserve
ovarienne, le couperet de l’AMH basse, le vocabulaire métrique, comptable. Voilà les patientes presque réduites à ce que leurs ovaires peuvent produire, la mauvaise répondeuse, la normo répondeuse ou encore mieux l’hyperépondeuse.
La littérature scientifique regorge aussi de publications visant à forcer certains ovaires épuisés à fournir ce bien précieux sans lequel rien n’est possible. Nous voici donc à choisir le meilleur protocole « mauvaises répondeuses », à fabriquer des scores pour classer, catégoriser nos patientes avec comme seul étalon le nombre de follicules.
Mais si on lève les yeux de l’écran de l’échographe, on voit, miracle, qu’autour des follicules qu’on peine parfois à trouver il existe une patiente, une femme avec son espoir tellement humain de devenir mère. Une patiente qui parfois ne se défini plus que parce que ses ovaires produisent, qui se sent parfois dépassée de ne pas être « capable » de donner plus. Une femme qui se sent « nulle», « sèche », « inutile », «stérile ». Blessure narcissique, impuissance, désespoir, voilà ce qu’inflige aux patientes le compte des follicules lorsqu’il se situe en deçà des attentes des patientes et de leurs médecins. Quel message conscient ou inconscient transmettons nous, nous soignants, pour qu’une patiente en pleurs me dise un jour qu’elle aurait voulu que je sois fière d’elle ?
A l’heure ou la maltraitance/ bientraitance médicale est sur le devant de la scène j’aimerais dire, après presque vingt ans d’exercice que je suis fière de chacune de mes patientes qui donnent tellement de leurs temps et de leur énergie pour ces traitements, qui endurent piqûres, prises de sang, ponction ovarienne, transfert sans presque jamais sourciller. J’ai partagé avec beaucoup d’elles le bonheur de la grossesse tant attendue, mais aussi essayé d’être à côté de celles qui n’avaient pas cette chance. Chaque jour je sors plus riche de ces expériences humaines qui font le sel de mon métier. Alors non, je n’en ai pas marre de compter des follicules !
Olivia FIORI Gynécologue
Article rédigé par Fertilemag .
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